L'inconvertibilité du langage

1er septembre 2013

Lorsque le langage, en dernier lieu, n’est pensé ni dans un imaginaire de la monnaie-or, ni même dans un imaginaire du billet de banque convertible, lorsqu’il est identifié à la monnaie conventionnelle ou fictive, à cours forcé, alors, c’est un moment véritablement critique de la confiance dans la valeur du langage qui s’annonce. Cette crise touche la philosophie comme la littérature, et elle atteint aussi, et peut-être d’abord, la théorie même du langage. On peut affirmer qu’un des courants majeurs des théories contemporaines du langage, à savoir le courant qui part de Saussure et se développe dans ls structuralisme linguistique, est tout entier fondé sur un imaginaire de l’inconvertibilité. L’affirmation de Saussure suivant laquelle la valeur en linguistique n’a pas de racine dans les choses et leurs rapports naturels, ou celle de Hjelmslev qui, rapprochant valeur marchande et valeur linguistique, énonce que dans la langue, il n’y a rien de comparable à l’étalon, correspondent fidèlement à une conception du langage qui ferait de lui l’homologue d’une monnaie conventionnelle. Rien n’enracine la valeur linguistique dans un dehors du langage.

Jean-Joseph Goux, Les monnayeurs du langage, Galilée, 1984, p. 31