Tarzans in the Media Forest de Toyo Ito

5 janvier 2014

Par Alexandre Grégoire, le 2014-01-05.

Tarzans in the Media Forest présente une vingtaine d’essais de l’architecte japonais Toyo Ito à propos de sa pratique. Le livre a été publié en 2011, lorsque Ito avait 70 ans. Les essais rassemblés dans le livre (datant de 1971 à 2011) présentent un architecte qui est fasciné par les changements technologiques de la dernière moitié du 20e siècle. Toyo Ito cite William Gibson et Marshall McLuhan, il est touché et inspiré par Le Corbusier et Mies van der Rohe.

Quatre thèmes ont attiré mon attention:

Les espaces transformables

Toyo Ito décrit à plusieurs reprises comment les cerisiers en fleurs délimitaient autrefois un espace qui pouvait être utilisé pour un banquet. À l'aide de draps et de quelques arbres coupés, l'espace pouvait être transformé en maison de thé éphémère. Ito décrit des petits appartements à Tokyo qui, disposant de peu d'espace, peuvent être convertis en chambre à coucher, salle à manger et espace de lecture (avec des journaux, magazines, etc.).

Le nomadisme urbain

Plusieurs besoins qui étaient autrefois comblés dans le domicile d'un citadin peuvent maintenant l'être dans la ville. Si notre travail nous garde hors de la maison durant de longues journées, nous n'avons pas besoin de cuisiner à la maison: les foires alimentaires abondent au centre-ville et nous offrent des mets variés. Les citadins n'ont plus besoin d'avoir une grande salle à manger à la maison — les rencontres de famille se déroulent probablement souvent au restaurant. Les cinémas nous gardent de l'achat d'un système audiovisuel dispendieux. Ito écrit:

Cosy, enjoyable spaces and household functions are being successively absorbed into the commercial spaces of the city. (p. 69)

Les appartements spacieux sont délaissés par une nouvelle classe de citoyens: les jeunes femmes vivant seules à Tokyo. Pour elles, la vie se déroule en dehors de la maison. Elles n'ont besoin que d'un espace minimal où venir se ressourcer quotidiennement.

L'expérience des technologies

L'ère moderne a placé l'individu au centre du monde. Les nomades urbains ont perdu de vue les liens qui les unissent à leurs concitoyens. Même les liens familiaux sont en voie d'être affaiblis. Le sentiment d'isolation se fait de plus en plus fréquent. Devant ce constat décourageant, Toyo Ito prétend que les nouvelles technologies aident les plus jeunes à créer de nouveaux liens avec leurs pairs:

Mobile telephones are an essential tool for today's high-school students. They carry them wherever they go and are constantly communicating with their peers. [...] By hearing the voices of their friends at all times, they seek to avoid being left alone. Their bodies crave the flow of electrons just as they need water and air. (p. 121)

Les téléphones mobiles, les ordinateurs et même les fax (!) permettent aux nomades urbains de rester connectés. Contrairement à beaucoup de ses contemporains, Toyo Ito ne croit pas que ces nouveaux outils technologiques sont la cause du sentiment d'isolement des individus de l'ère moderne. Ils permettent plutôt de s'épanouir dans de telles conditions.

Le lieu technologique

Pour Ito, l'expérience de ces objets, comme celle de l'ordinateur et de l'internet, pose la question de la nature du lieu. Quel lieu habitons-nous lorsque nous consultons un site sur l'internet ? Où sommes-nous lorsque nous parlons à un ami au téléphone ? Ces technologies qui nous connectent avec d'autres êtres distants en les rendant instantanément accessibles défient notre perception des limites, de l'intérieur et de l'extérieur, de la distance et de la proximité.

L'architecture devrait répondre à ce questionnement. Elle devrait se poser comme l'interface entre l'humain et le monde. Mais plutôt qu'être rigide comme un mur, elle devrait reproduire le modèle de la peau ou du vêtement:

It would be more appropriate to call architecture clad in such a membrane a media suit. Architecture is an extension of clothing and therefore a media suit. It is a transparent suit meant for a digitalised and transparent body. And people clad in transparent media suits will live in virtual nature, in the forest of media. They are Tarzans in the media forest. (p. 124)

Toyo Ito ne précise pas comment ce désir peut se concrétiser physiquement dans un projet architectural.


Le livre comporte un dosage adroit de propositions abstraites (comme celle mentionnée plus haut) et concrètes (comme celle à propos des espaces transformables). Les essais choisis couvrent toute la carrière de Toyo Ito, de la formation de sa pratique jusqu'à ses derniers projets, offrant un efficace survol de sa carrière. Le propos des essais est parfois déroutant, mais c'est peut-être dû à la traduction du japonais à l'anglais. J'ai trouvé la lecture du livre intéressante et stimulante.


Tarzans in the Media Forest fait partie de la collection “Architecture Words” de l’Architecture Association of London. Chaque publication de la collection présente des écrits d’un architecte à propos de sa pratique. Le propos peut parfois être très spécifique (comme dans le cas de “The Poetics of a Wall Projection” — concernant un projet architectural de Ludwig Wittgenstein), mais il est généralement livré sous la forme d’une série d’essais datant de plusieurs périodes de la vie de l’auteur.

Les livres de la collection sont disponibles à la librairie du Centre Canadien d'Architecture à Montréal.

Toyo Ito, Tarzans in the Media Forest, Architecture Words 8, AA Publications, 2011, 187 pages.